#Rencontre : Marc-André Ledoux

Commissariat Commissariat général, le 8 juillet 2021 0 commentaire

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Marc-André Ledoux,

Éditeur aux Nouvelles éditions numériques africaines (NENA), Sénégal

 

Bibliothécaire de formation, spécialiste en informatique documentaire et éditoriale, éditeur de métier depuis une trentaine d’années, de double nationalité canadienne et sénégalaise, je me définis comme un entrepreneur social en série, convaincu qu’un développement économique équitable et responsable de l’Afrique passe par l’entrepreneuriat social. Je suis d’ailleurs auteur de trois livres sur ce sujet. La direction de la maison d’édition NENA demeure sans doute mon activité principale mais non exclusive puisque j’ai fondé et dirige en ce moment deux autres entreprises: dans l’énergie de cuisson propre et écologique, et dans l’accompagnement et le financement d’entreprises sociales.  

 

Ma mission est naturellement celle de NENA : rassembler, numériser, pérenniser, diffuser les œuvres des auteur.e.s  africain.e.s et des amis.e.s de l’Afrique, en promouvoir la lecture, et appuyer de ce fait l’essor des entreprises africaines d’édition. Patiemment depuis 2008, NENA a constitué avec plus d’une centaine d’éditeurs un catalogue à date de 3 200 livres numériques en tout domaine. C’est un succès, encore modeste, considérant qu’il a fallu partir de zéro. Une autre satisfaction est d’avoir mis en place un réseau de 120 sites de vente de livres numériques, dont surtout notre propre site de la librairie numérique africaine, boutique spécialisée sur le livre africain. Mais s’il faut désigner la plus grand fierté, c’est d’avoir innové avec nos bibliothèques numériques africaines en ligne (en littérature, sciences sociales, jeunesse, droit, etc.), les seules du genre dans le monde, et dont le modèle de l’abonnement est, certainement en Afrique du moins, beaucoup plus performanttant pour l’accessibilité universelle au livre numérique, que pour les revenus touchés par les acteurs de la chaîne éditoriale.

 

Avec son expertise et sa technologie de pointe en édition numérique, avec sa librairie et ses bibliothèques numériques, avec ses contrats d’édition et de coédition numériques attractifs et avantageux pour toutes les parties, NENA a réussi à mettre en place une solide infrastructure pour la production et la diffusion du livre numérique africain de langue française. Son grand défi est étonnamment d’arriver à surmonter la frilosité des premiers bénéficiaires de la proposition de NENA : ceux et celles, parmi leauteur.e.s et éditeurs africains eux-mêmes, qui retardent encore à passer au numérique. Il ne manque pourtant que peu pour que soient surmontés un certain conservatisme, une méconnaissance des opportunités du numérique, ou des craintes non fondées, et pour que se généralise le réflexe de se dire : je publie toujours en même temps en imprimé et en numérique. NENA persiste à solliciter ses futurs partenaires pour que se réalise la plate-forme panafricaine de l’édition. Le temps est notre allié. 

 

L’attente est double. Faisons d’abord un syllogisme simple. Nous voulons tous que les livres en français soient lus. Or à notre époque, l’ubiquité des téléphones portables et autres appareils informatiques, fait de ces équipements des supports universels de lecture de livres numériques. Donc pour développer la lecture, il faut rendre disponibles et accessibles de tels livres. Si des institutions publiques nationales ou internationales prétendent vouloir promouvoir le livre de langue française, alors elles ont une chose prioritaire à faire : initier un programme d’incitation et d’appui à la numérisation rétrospective et courante des livres des éditeurs africains puisque c’est là que le retard, et donc l’état d’inaccessibilité à de nouveaux titres est le plus grandIl y a quelques années, le Centre National du Livre en France avait lancé un programme d’aide à la numérisation rétrospective pour combler le retard de la France par rapport aux pays anglo-saxons : mission accomplie, le programme est terminé, Il faut maintenant un programme similaire et amélioré pour l’Afrique et réalisé en Afrique par des Africains. NENA est disposé à faire des suggestions pratiques. 

Deuxièmement, parmi les livres en langue française, il y a ceux des pays du Nord et ceux du Sud. Pour des raisons notamment historiques, quantités d’œuvres d’auteurs du Sud ont été ou sont publiées au Nord. Le Sud veut accéder à ces œuvres de ses enfants. Morale : une coopération Nord-Sud dans le domaine du livre signifie que les éditeurs du Nord, grands ou petits, ayant depuis 70 années publié des auteurs du Sud, doivent collaborer activement avec des éditeurs du Sud pour la coédition et la diffusion des auteurs du Sud depuis le SudLe numérique simplifie la chose, tant pour les versions imprimées que surtout numériques des publications. Le Sud doit pouvoir au moins diffuser son patrimoine et à terme le publier lui-même, seul ou en collaborationLes éditeurs du Nord doivent faire preuve d’ouverture. Les institutions publiques devraient favoriser une telle collaboration Nord-Sud.